"Cher Saint Nicolas
OU tout ce que je voudrais te demander aujourd’hui, maintenant que je suis grande, parait-il..
Si tu les avais vus, Saint Nicolas.
Tellement appliqués. Des traces de marqueurs sur les doigts. A chercher l’inspiration en suçotant leur crayon.Certains savaient tout de suite, d’autres cherchaient en fronçant les sourcils.Mais au final, ils l’ont tous écrite, leur lettre.
Il
y a de la « Reine de Neige » dedans, du Peppa Pig, des duplos comme
quand j’étais petite. Il y a des jeux vidéos dont je connais rien. Il y a
des chaussures de foot et des maillots de joueurs dont les noms
m’échappent. Il y a des poussettes de poupées, des livres d’un petit
sorcier. Et entre les lignes, tellement plus que des jouets.
Moi
aussi, Saint Nicolas, j’ai écrit ma lettre. Je l’ai mise devant la
cheminée, avec celles des enfants. Moi j’étais dans le clan de ceux qui
savaient tout de suite ce qu’ils voulaient.
Une journée au spa. Des heures de baby-sitting, beaucoup d’heures de
baby-sitting. Des trucs de fille. Du thé. Des serviettes rayées. Du
parfum.
La nuit dernière, tu es venu chercher nos lettres. Tu as laissé des
bonbons pour les enfants, des nics-nacs pour Pimprenelle (parce que sa
mère psycho-rigide refuse de la voir manger des bonbecs à 18 mois) et
du chocolat pour moi, parce que les chiques, moi, j’aime pas ça.
Et
ce matin…
Comme quand j’étais petite. Me réveiller et trouver des
surprises devant la cheminée. A ne pas réfléchir trop longtemps pour
savoir comment tu fais pour atterrir pile sur le toit, pour passer dans
une si petite cheminée avec ta si grande mitre, pour pas salir ton
beau manteau rouge, pour visiter tant de maisons avec un seul âne et ton
grand âge, en une nuit à peine.
A l’époque, quand j’ai eu, d’un coup
sec et brutal, la réponse à toutes ces questions que je ne voulais pas
trop me poser, et qu’une copine qui ne rêvait déjà plus me l’a déballée
tout de go, mon enfance a perdu quelques plumes. A l’intérieur, il y a
eu des larmes et des rêves qui ont fané, comme les ballons
d’anniversaire flétris qui n’ont plus assez d’air pour voler.
Tu as tourné les talons de tes bottes, remballant tes chiques et tes
claques dans ta hotte, prenant sous le bras ton âne, ton père Fouettard,
et ta crosse clinquante.
Tu es parti vers d’autres enfants, sans te retourner vraiment.
Et tu m’as beaucoup manqué pendant toutes ces années. Même si c’était
hier encore. Ta mitre bien plantée, ta crosse sur le côté, ta barbe au
vent. Ton petit signe bienveillant, avec cette grosse bague rouge sur
tes gants blancs. Toi qui savais tout, qui étais partout. Et qui rendais
possible tous nos rêves, gardien de nos imaginaires, de nos ciels, de
nos fantaisies. De notre insouciance folle.
Quand je suis devenue
une grande madame, et qu’on a construit notre maison du bonheur, on l’a
bâtie autour d’une cheminée. Pour réchauffer les joues et les sourires
en hiver. Pour donner un coeur qui palpite à notre chez-nous. Mais
aussi pour toi, Saint Nicolas. Pour que tu puisses venir déposer, au
milieu des poupées, des jeux vidéos, des mandarines et des duplos, des
rêves encore plus grands de chevauchées fantastiques sous les étoiles,
de voyages à dos de nuage, d’usines de massepain et de joyeuses bandes
de lutins.
Et te voilà de retour, fidèle au rendez-vous. Ta barbe n’a pas pris
un poil blanc. Tes genoux ne craquent pas davantage quand tu t’abaisses,
ton âne rechigne toujours à avancer, ton Père Fouettard nous fait
toujours autant trembler. Même tes joues sont toujours aussi douces et
tes promesses aussi grandes. Tu n’as pas vieilli, Saint Nicolas, et
quand je te retrouve, moi, je n’ai pas grandi.
Tu es ressorti tout droit de mon enfance, gardien fidèle de mes rêves, sans une trace de suie ou une once d’amertume.
Alors chez nous, Saint Nicolas, tu es une star. On t’attend. On parle
de toi. On chante tes chansons. On invente tout ce qu’on ne sait pas de
ta vie et de ta famille. On rentre pas trop dans les détails, comme on
fait d’habitude pour tout le reste, parce que décidément, il y a bien
trop de mystères. Et il ne faudrait pas que les mystères tuent le rêve.
Alors on rêve. Tout haut et ensemble.
Chez nous, pas besoin d’être sage comme un petit mouton pour que tu viennes. Juste d’y croire très fort. Et crois-moi, chez nous, ça y croit sec. A tous les âges et à tous les étages.
Alors voilà Saint Nicolas, mea culpa pour ma lettre de grande madame
pourrie gâtée, qui a envie d’un spa et de trucs de fille. En fait, c’est
pas vraiment ça que je souhaite te demander.
Si tu es aussi magique que tu en as l’air, génie bien de chez nous
sorti d’une bouteille de bière, tu peux peut-être réaliser mon souhait
un peu spécial.
En fait, je voudrais que tu ne viennes pas. Enfin si, mais pas tout de suite. Pas trop vite.
Parce que même si ta venue allume de bien jolies étoiles dans les
yeux de mes enfants, peut-être que t’attendre est encore plus beau.
Rêver ton arrivée. Décompter les dodos jusqu’au grand soir. Espérer la
plus jolie des fêtes.
Et puis parce que le grand soir, même s’il sera magique, il passe si
vite. On déballe tout, on laisse fondre le chocolat sur les doigts, on
enlève les petits fils des mandarines.Et puis c’est fini.
Parce qu’à force d’attendre toujours plus loin, on finit par oublier le maintenant et l’ici.
Et voir mes enfants te chanter à tue-tête, te réclamer dans la
cheminée, te rêver le soir en s’endormant le pouce en bouche, c’est ça,
finalement, le plus joli de tout. Leur enfance, encore toute intacte,
toute insouciante, qui se déroule en toute joie. Ici et maintenant.
Alors oui, Saint Nicolas, ne viens pas trop vite. Laisse-nous un peu
profiter de tout ça. Laisse-les déguster leurs nic-nacs. Leur
impatience. Leurs morceaux d’enfance.
Parce que demain, dans un an, ou après… inch’allah comme on ne dit pas chez toi…
Alors aujourd’hui, là, maintenant, tout de suite, t’apercevoir au
bout du couloir me rappelle combien leur joie est précieuse, et combien
entre les nuits en pointillés et les journées en hachuré, il est si bon
d’en profiter…"
Cet article n'est pas de moi... mais il est de moment de grâce où la vie nous prête les mots d'un autre...merci !
Superbe texte, je me souviens encore d'avoir attendu le grand Saint Nicolas à Ramelot. Quels souvenirs!!!
RépondreSupprimerGros bisous
Anne Catherine